Sciences Claires - Que sont la fusion froide et les LENR

Que sont la fusion froide et les LENR ?


Que sont la fusion froide et les LENR ?

Par Loïc Vuds


Article mis en ligne le 20/02/14
Dernière mise à jour le 20 février 2014 à 18h58
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Une énergie propre, pratiquement illimitée et facile à produire : c'est ce que semble promettre la « fusion froide », aujourd'hui parfois appelée LENR. Qu'en est-il réellement ?


Les origines

La “fusion froide” fut popularisée en mars 1989, lorsque Stanley Pons et Martin Fleischmann, deux électrochimistes américains1,2, organisèrent une conférence de presse pour annoncer une découverte révolutionnaire : ils seraient parvenus à réaliser la fusion nucléaire... à température ambiante !

Or, la fusion nucléaire est un processus dans lequel la communauté scientifique place aujourd'hui encore énormément d’espoir3 car elle permettrait de produire encore plus d'énergie que la fission nucléaire, aujourd'hui utilisée dans nos centrales, tout en engendrant beaucoup moins de déchets radioactifs. Malheureusement, déclencher des réactions de fusion nucléaire est plus facile à dire qu'à faire : le moyen le plus « simple » d'y parvenir est d'atteindre des températures énormes, de l'ordre de centaines de millions de degrés4!

L'expérience décrite par Pons et Fleischmann5 consiste à faire l’électrolyse de l’eau lourde (D2O) avec une électrode négative de Palladium, une électrode positive de Platine et un sel de Lithium (LiOD) comme électrolyte. Ils disent avoir ainsi observé une production de chaleur supérieure à celle normalement due à l’énergie électrique apportée au système, qu'ils attribuèrent par la fusion des noyaux de deutérium, qui seraient selon eux regroupés dans l’électrode de Palladium.

À l'époque, l'annonce de Pons et Fleischmann suscite donc énormément d’intérêt car elle semble ouvrir la voie à une source d’énergie considérable5, propre et facile à mettre en oeuvre. L'information est immédiatement relayée par la presse, notamment par deux quotidiens économiques, le Financial Times et le Wall Street Journal, à qui Pons et Fleischmann ont donné l’exclusivité de la nouvelle et qui en font leur une le jour même.

Ces articles ne donnent pas beaucoup de détails sur l’expérience réalisée par les deux électrochimistes, mais ils ne manquent pas de spéculer sur les perspectives économiques qui pourraient en découler. Même lors de leur conférence de presse, les deux scientifiques n’ont d’ailleurs pas donné beaucoup de détails sur leur dispositif expérimental...

La une du Financial Times annonçant la « découverte » de Pons et Fleischmann ainsi que l'article associé
Source : Financial Times du 23 mars 1989

Ce manque d’information va rapidement devenir problématique pour une grande partie de la communauté scientifique, d’autant plus que Fleischmann et Pons n’ont pas suivi le chemin habituel pour annoncer leur découverte. En principe, les chercheurs soumettent d'abord les résultats de leur travaux dans des revues scientifiques spécialisées, où ils sont relus, analysés et critiqués par d'autres scientifiques du domaine avant d'être publiés : c'est la fameuse « peer review

La peer review, ou « évaluation par les pairs », est le processus d'évaluation de la qualité des articles soumis dans les revues à comité de lecture et de la plupart des demandes de financement. Son principe est simple : la qualité de l'article ou du projet est jugée par d'autres chercheurs travaillant dans le même domaine.

». Ce n'est qu'ensuite que ces résultats sont présentés aux médias “de société” et diffusés auprès du grand public.

Or, Fleischmann et Pons n’ont publié aucun article scientifique avant leur annonce médiatique et ont choisi de donner l'exclusivité de la nouvelle à deux journaux économiques. Ils tentent sans succès de publier leurs résultats dans la prestigieuse revue scientifique Nature, mais finissent par les publier dans une revue de moindre importance.

Au fil des mois qui suivent la conférence de presse, la communauté scientifique se montre de plus en plus perplexe face à cette prétendue découverte et les critiques s’amplifient. Dans plusieurs laboratoires, des chercheurs tentent de reproduire les résultats obtenus par Pons et Fleischmann, sans succès, et l'appareillage de ceux-ci (qu'ils refusent au départ de laisser analyser par d'autres chercheurs) ne semble pas présenter les traces attendues d'une réaction de fusion nucléaire6. En octobre de la même année, une étude du ministère de l’énergie des États-Unis (DoE , Departement of Energy) conclut qu'il n'existe aucune preuve de l'existence de la fusion froide7.

Cet épisode marqua profondément la communauté scientifique et, par la suite, les adeptes de la fusion froide furent marginalisés8. Certains continuèrent cependant à faire des recherches sur le sujet. Depuis 1989, ils se réunissent annuellement à la « Conférence internationale sur la matière nucléaire condensée » (ICCF). La dernière en date a eu lieu en 2013 à l’université du Missouri, aux États-Unis9.

Site de la dernière édition en date de l'ICCF, sponsorisée par le magazine « Infinite Energy ».
Image : ICCF18.research.missouri.edu

En 2003, quinze ans après l'annonce de Pons et Fleischmann, un nouveau rapport10,11 du DoE sur la fusion froide arrive à la même conclusion que le premier : les recherches supplémentaires menés depuis 1989 n’ont pas su apporter de preuve de l’existence de processus de fusion nucléaire à basse température.


La fusion froide aujourd'hui

Aujourd'hui, on utilise le terme « fusion froide »12 pour désigner une production de chaleur causée par un processus inconnu, se déroulant prétendument à l’échelle atomique et ne s’accompagnant pas de radiations ionisantes (c'est-à-dire de rayons UV, de rayons X ou de rayons gamma). Ses défenseurs lui préfèrent souvent le terme de « réaction nucléaire à basse énergie » (ou LENR, pour « Low-Energy Nuclear Reactions »), peut-être pour éviter la mauvaise réputation associée aux mots « fusion froide ». D’autres termes sont également utilisés : « réactions nucléaires dans la matière condensée » , « réactions nucléaires à basse température » ou encore « réactions nucléaires chimiquement assistées ».

Pour bien comprendre la problématique, il est important de distinguer le phénomène que les défenseurs de la fusion froide disent avoir observé (la production de chaleur) et son origine supposée (la fusion nucléaire à température ambiante). Si elle est réelle, la production de chaleur devrait être vérifiable par n'importe quel groupe de chercheurs dotés du matériel approprié, tandis que l'explication à donner au phénomène pourrait, quant à elle, faire l'objet de débats.

Pourtant, pour la quasi-totalité de la communauté scientifique, ni l'existence de cette mystérieuse production de chaleur ni son origine nucléaire n’ont pu être prouvées à l'heure actuelle. Les partisans de la fusion froide affirment toutefois que la production de chaleur est un fait établi car elle aurait été reproduite par plusieurs laboratoires et que les instruments utilisés pour la mesurer, critiqués par le passé, auraient été améliorés9,13,14. Les détails exacts de son origine leur est toujours inconnue : plusieurs théories15 qui lui attribuent une origine nucléaire ont été développées, mais aucune n’a trouvé de confirmation expérimentale.

La une du Times rapportant le mécontentement de la communauté scientifique
Source : Times du 8 mai 1989

Une des recommandations du DoE dans son second rapport sur la fusion froide11, publié 15 ans après l'annonce de Fleischmann et Pons, invitait les chercheurs sur les LENR à proposer leur article dans de véritables revues scientifiques, avec peer review

La peer review, ou « évaluation par les pairs », est le processus d'évaluation de la qualité des articles soumis dans les revues à comité de lecture et de la plupart des demandes de financement. Son principe est simple : la qualité de l'article ou du projet est jugée par d'autres chercheurs travaillant dans le même domaine.

. Cette recommandation n’a visiblement pas abouti car les chercheurs sur les LENR sont toujours isolés et publient dans leurs propres journaux16.

Cependant, certains d'entre eux prétendent que la reconnaissance de leurs travaux a considérablement augmenté17, affirmant notamment avoir le soutien de la NASA et de la Direction Générale pour la Recherche et l’Innovation de l’Union Européenne (DGRI).

Ces prétendus soutiens sont à relativiser18,19. Prenons, par exemple, le soutien supposé de la DGRI, basé sur un rapport d’expert sur les nouvelles technologies de l'énergie20. Dans la partie sur les LENR, il est dit que leur production d’énergie n’est plus à remettre en doute et un appel est lancé à financer la recherche sur cette nouvelle source d'énergie, « illimitée et disponible partout ».

Il est important de noter que cette partie du rapport a en réalité été écrite par Vittrio Violante, partisan de la fusion froide travaillant à l’ « Agence pour les nouvelles technologies, l'énergie et l'environnement » italienne (ENEA). Ce rapport est critiquable car il ne cite aucune source et malgré le grand scepticisme de la communauté scientifique, la parole est donné à un chercheur sur la fusion froide sans lui opposer aucun contradicteur.


Impact sur la société

L’affaire Fleischmann et Pons a créé un traumatisme dans la presse et dans la communauté scientifique. Il est aujourd'hui rare que les médias abordent le sujet, si ce n'est pour citer l'annonce de Fleischmann et Pons comme un exemple de gaffe scientifique (ou pour présenter la fusion froide comme une idée pseudo-scientifique à la vie dure).

En parallèle de cela, le développement d'internet semble avoir donné une seconde vie aux thèses défendues par les partisans de la fusion froide. En effet, il existe de nombreux sites consacrés au sujet, qui suivent les avancées qui auraient lieu en ce moment dans le domaine.

Les pages d'accueil de quelques sites consacrés à la fusion froide
Images : LENR-CANR.org, News.NewEnergyTimes.net, Lenr-forum.com, Ucidomi.fr, Fusionfroide.ch

Le sujet de la fusion froide est également parfois abordé à travers certains médias alternatifs dans des articles d'opinion qui n'engagent que leurs auteurs. Ceux-ci vantent les mérites des LENR21 en les décrivant comme une source d'énergie propre, abondante et utilisable partout dans le monde. Ils sont nombreux à suggérer que le faible soutien de la part du monde scientifique et du monde politique serait volontaire. Selon eux, une percée des LENR serait malvenue vu tout l’argent investi dans la recherche sur la fusion nucléaire à haute température, comme le projet ITER5.

Par ailleurs, quelques entreprises commerciales22 tentent de mettre au point des réacteurs basés sur cette “nouvelle source d’énergie” afin de les commercialiser. Étant donné l'avancement de la recherche en la matière, on peut toutefois se demander si ces entreprises ne spéculent pas sur leur capacité à développer ces réacteurs, si elles parviendront à commercialiser les produits annoncés et, si oui, s'ils présenteront réellement les capacités promises.

Inspirés par les sites internet consacrés au sujet, des particuliers ont également entrepris de créer leurs propres réacteurs à fusion froide. On peut ainsi trouver sur internet des vidéos de leurs réalisations23.


Exemple de vidéo réalisée chez un particulier, Julien S., qui pense être parvenu à créer un réacteur à fusion froide...

Bien que ce phénomène reste marginal, le manque des communication des médias et des autorités scientifiques sur le sujet peut être problématique : il laisse les citoyens mal informés et démunis face aux arguments apportés par les partisans des LENR, pourtant en désaccord avec la quasi-totalité de la communauté scientifique.


En guise de conclusion

Les défenseurs modernes des LENR, très actifs sur internet, disent qu'il s'agit d'une source d'énergie propre et affirment que la réalité du phénomène ne peut aujourd'hui plus être remise en question. Toutefois, ils ne peuvent pas expliquer l’origine de cette énergie et leurs résultats ne semblent jusqu'ici pas avoir pu être reproduits indiscutablement par la communauté scientifique.

À l'heure actuelle, la communauté scientifique reste donc extrêmement sceptique vis-à-vis de la fusion froide, d'autant plus que ses partisans n'ont à ce jour toujours pas réussi à passer l'épreuve du peer-review, étape nécessaire pour retrouver une crédibilité scientifique.


Articles connexes


Complément d'information

2 Fusion froide : anniversaire d'un dérapage, Agence Science-Presse, 23 mars 2009.

3 Principalement derrière le projet ITER4.

5 Electrochemically induced nuclear fusion of deuterium, Fleischmann, M., S. Pons, and M. Hawkins, J. Electroanal. Chem., 1989. 261: p. 301.

6 Les protons émis lors de la fusion du deutérium auraient dû laisser des traces caractéristiques2

8 La fusion froide échauffe les imaginations, par Yves Gingras, La Recherche n°438, p. 92, 1er février 2010.

9 ICCF18 Conference, site officiel.

10 Evidence on Cold Fusion Remains Inconclusive, New Review Finds, par Kenneth Chang dans le New York Times, 2 décembre 2004.

12 Fusion froide, Fr.Wikipedia.org.

13 Evidence that LENR (aka cold fusion) is real, LENR News, 30 décembre 2013.

14 NASA: A Nuclear Reactor to Replace Your Water Heater, par Jeff McMahon pour Forbes.com, 22 février 2013.

15 LENR at GRC, présentation de Gustave C. Farlick, John D. Wrbanek, Susan Y. Wrbanek et J. Niedra, citant:
  • Electron Screening (Parmenter & Lamb)
  • Band States (Chubb & Chubb)
  • Shrunken Hydrogen ( Maly, Vavra & Mills)
  • Ultra Low Momentum Neutrons (Widom & Larsen)
  • Dislocation Loops ( Hora & Miley)
  • Bose-Einstein Condensates (Kim)

16 Journal of Condensed Matter Nuclear Science Publications, site de l'International Society for Condensed Matter Nuclear Science.

17 Is Commercial Low Energy Nuclear Reaction (LENR) Real ?, présentation par Tyler van Houwelingen, 15 janvier 2014, slides 7 et 9.

18 Race for cold fusion: Nasa, MIT, Darpa and Cern peer through the keyhole, par David Hambling pour Wired.co.uk, 27 février 2014

19 ''Cold Fusion: NASA Says Nothing Useful, par Mark Gibbs sur Forbes.com, 16 janvier 2012.

21 Quelques articles vantant les mérites des LENR :

22 Entreprise travaillant sur les LENR et préparant des réacteurs:

23 La fusion nucléaire dans un appartement, par « Innov24 » sur Lefilpresse.wordpress.com, 9 novembre 2012


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                   Auteur(s) : Loïc Vuds

                   Catégorie : Article

                   Discipline(s) : Physique, Chimie, Passé, Science et société


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